Ma lettre au Père Noël
Hommage à mon fils Benjamin
Et à son amie Sabrina.
Cagnes sur mer, le 24 décembre 2003,
Cher Père Noël,
Tu sais, quand j’étais encore un tout petit garçon, mon grand-père maternel me disait,
le soir avant de me coucher, que tu pouvais faire des miracles. C’était un homme qui n’a
jamais menti à l’enfant que j’étais. En ce soir de fêtes, lui aussi est très présent dans
mes pensées. Mon bon vieux grand-père ! Son souvenir me donne un peu d’espoir et le courage
de t’écrire. Alors, Père Noël, j’aimerais que tu exauces un vœu. Mon vœu. |
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Dis-moi, de quoi les hommes peuvent-ils bien être encore capables ? Ils peuvent
être si inconscients et si dangereux… La douleur me tord encore le ventre et ce soir, je te l’avoue,
je me sens comme un enfant perdu. Aussi, c’est vers toi que je me tourne, pour que tu
puisses faire en sorte que mon souhait devienne réalité. Avant que cela ne recommence !
C’est donc à toi, Père Noël, que j’ai envie de confier cette histoire. Elle n’est autre que mon
histoire. C’est déjà la nuit, le sapin brille dans notre salon, tu le vois bien et, en cette
veille de Noël, devant un bon feu de cheminée, je pense. Je me tourmente malgré le calme de
la maison. Il faut dire que cette ambiance chaude et festive ne peut soulager la détresse de
mon cœur et j’ai plus que jamais envie de partager avec toi ce que je ressens.
C’est mon cinquante deuxième Noël, tu vois. 52 années d’une vie bien remplie et
heureuse malgré de trop nombreux moments de chagrin. Moi aussi, j’ai eu mon lot de peines.
Mais jamais je n’aurai cru avoir à subir un tel supplice. Une telle épreuve ne pouvait pas
m’arriver, pas à moi, non ! Et bien, cela n’arrive pas qu’aux autres, Père Noël.
Voilà, en quelques phrases, car j’aurais tant à dire, mon terrible récit.
C’était une belle matinée ensoleillée du mois de Mai de cette année 2003. Christiane et
moi étions, jusque-là, encore heureux. La sonnette de notre maison avait résonné. Il était
8 heures 30. J’ai en mémoire, c’est incroyable, les moindres détails de cette journée.
Deux personnes en uniforme de police se tenaient là, devant l’entrée de notre jardin et ce
fut au seuil de notre demeure familiale qu’elles délivrèrent leur horrible message. Tout
alors bascula.
Mais je sens bien, Père Noël, que tu as déjà compris de quel message ces
personnes étaient porteuses.
Christiane était sortie la première dans le jardin. Elle avait aperçu derrière le portail, les
deux personnes, un homme et une femme, qui attendaient, ce fut elle, qui alla ouvrir ce matin-là.
Sans s’en rendre compte, elle entrebâilla à peine l’un des battants, leur obturant malgré elle
le passage. Moi, j’étais là, à quelque pas derrière elle, planté, inquiet. Mes jambes devinrent,
très vite, de plus en plus lourdes. L’un des deux policiers s’approcha de Christiane et, s’adressant
à elle, lui dit :
Le policier : « Bonjour, vous êtes bien M. et Mme Bernier ? »
Christiane : « Oui. »
L’autre policier : « Vous êtes bien les parents de Benjamin ? »
Nous :« Oui. »
Les policiers : « Benjamin a eu un accident. »
A cet instant, nous avons, Christiane et moi, un horrible pressentiment. Le pire
pouvait arriver.
Nous : « Il est blessé ? »
Eux : « Non, il est décédé. »
Ce fut direct, comme une mise à mort, sans préambule. Un coup en plein
cœur. Plus personne ne dit mot. Le silence devint très vite écrasant.
Tu sais, Père Noël, à ce moment-là, tout dans mon corps c’est ralenti,
d’un seul coup.
Perdant pied avec la réalité, je revoyais Benjamin. Un tas d’images de
lui m’inondaient. Puis j’entendis Christiane crier :
« Benjamin est mort ! Mon petit Benjamin est mort ! »
Je réalisais, en l’espace d’une seconde, que plus jamais je ne
reverrais mon fils. Ce fut alors l’état de choc. Je trouvais, cependant et je ne sais comment,
la force de poser une question aux policiers, une question qui semblait déjà contenir sa réponse :
Moi : « Et sa copine, elle n’a rien au moins ? »
Les policiers : « Elle est décédée aussi. »
Les deux policiers poussèrent alors doucement le portail pour se
rapprocher de nous. La femme prit Christiane dans ses bras et l’homme entama un monologue à mon
intention. Je l’écoutai sans l’entendre. Mes jambes flanchèrent, je sentis le sol se dérober sous
mes pieds, je finis par m’affaisser.
L’homme continuait de me parler alors que les secondes
passaient. Je demeurais inerte. Il essaya en vain de me réconforter : « Ils sont
morts sur le coup, ils n’ont pas souffert, vous savez. »
Moi : « Comment est-ce arrivé ? »
J’avais une terrible angoisse en posant cette question, j’avais très
peur d’entendre la réponse qu’on allait me faire.
La personne : « C’est un chauffard qui
s’est endormi au volant et qui les a percutés de face. Ce n’était pas la faute de votre
fils. »
Malgré ma douleur, je fus soulagé d’apprendre que Benjamin n’était
pas responsable ! Je saurais par la suite, en voyant sa moto et le véhicule qui l’avait percutée,
que Benjamin avait tout essayé pour éviter le chauffard en état d’ivresse…
Ces quelques mots échangés avec ces deux policiers raisonnent encore
dans ma tête. Je peux te dire, Père Noël, qu’ils resteront à jamais gravés dans ma mémoire.
Tu la connais, à présent, l’horreur, la raison de ma souffrance.
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J’ai bel et bien perdu mon plus jeune fils
Benjamin
et son amie Sabrina le 24 mai 2003 à
6h 30. Il n’avait que 21 ans.Elle n’avait que 16 ans. Et c’est trop jeune pour mourir. |
Alors tu vois, Père Noël, mon
souhait le plus cher, c’est que, par ton biais et à travers le récit de ce drame familial qui nous
bouleverse, toutes les personnes qui vont utiliser leur véhicule en cette nuit de Noël soient
conscientes de leurs actes. Cela n’arrive pas qu’aux autres, je le répète ! Je veux les inviter à
être prudentes. Qu’elles songent à notre malheur, et qu’elles comprennent que cette tragédie peut
aussi frapper à leur porte, comme elle a frappé à la nôtre ce matin-là de l’année 2003.
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Désormais, je veux qu’elles sachent, toutes ces personnes qui prendront
le volant pendant la nuit de Noël comme à n’importe quelle autre occasion de la vie, que nous vivons,
les miens et moi, un cauchemar éveillé, dont nous ne pouvons sortir.
C’est comme une horrible maladie qui nous ronge de l’intérieur. Il
n’existe aucun traitement pour cela.
Je sais que je n’en guérirai jamais.
Aussi, j’insiste, Père Noël, pour que tu exauces mon souhait : dépose
dans chaque foyer cette lettre pour réveiller les consciences !
En la lisant, chacun pourra essayer d’imaginer, même un court instant,
le drame que nous vivons. Il suffira, pour cela, de se projeter ces images : un père, une mère, un
frère, une sœur ou un groupe d’amis en train de veiller un enfant, notre enfant. Mort !
1 - Benjamin veillé par ses copains, le 25 mai 2003 à 15h 17.
Cela pourrait être aussi le cas de LEUR enfant. Car, personne, tu le sais
bien Père Noël, ne peut lutter contre une telle tragédie. La mort est tellement injuste, elle frappe
n’importe où, aveuglement.
Ceux qui liront ma lettre, Père Noël, pourront également imaginer le
déchirement, la détresse et la douleur que nous avons éprouvés lors de la
fermeture du cercueil de notre enfant.
Cela pourrait être les adieux de n’importe quel autre enfant.
Qu’ils imaginent, qu’ils imaginent ! Je n’ai plus que ces mots dans la
tête pour exprimer mon désespoir. Qu’ils aient à l’esprit ces images, cela modifiera peut-être leur
comportement de demain.
Que par cette lettre, Père Noël, ils puissent concevoir que cela risque
aussi leur arriver ! Eux aussi pourraient être, « victime » ou
« la victime » d’un tel accident de la route, la victime d’un
inconscient roulant dans un état second. Mais pire encore, ils pourraient inversement devenir
« les auteurs » d’un drame pareil.
C’est trop horrible, c’est trop injuste, c’est trop bête,
ce n’est pas « logique », ce n’est pas dans « la »
logique dans « notre » logique, que des enfants partent comme cela.
Je ne peux pas l’admettre, jamais je ne l’admettrai.
Je te le demande, Père Noël, exauces mon vœu; transmets mes paroles, mon histoire
à tous, car, un jour, elle pourrait également devenir la leur.
Cela fera 7 mois, à Noël, que Benjamin et Sabrina sont partis pour
« là-bas » et j’ai redécouvert, depuis leurs morts, la
signification des mots « Amour » et « Compassion ».
Ce matin du 24 mai 2003, juste avant de mourir, Benjamin a semé une
petite graine, il l’a arrosée de son sang et cette graine merveilleuse remplie
d’« Amour et de Compassion » a germé. J’en ai pour preuve tous
ces témoignages que nous recevons chaque jour de la part de ses amis, de notre famille et de
nombreux anonymes. Si tu le veux Père Noël, tu peux les consulter sur le
livre d’Or de Benjamin et Sabrina.
Et c’est elle, cette « graine »,
qui m’aide à vivre aujourd’hui et qui me donne le courage de t’écrire cette lettre, Père Noël.
Je suis encore très malheureux. Je pense à chaque instant à Benjamin et
à Sabrina, mais je reprends, lentement, imperceptiblement, peu à peu, goût à la vie.
Alors n’oublie pas Père Noël, en cette belle nuit, de donner cette
lettre à tous les Papas et à toutes les Mamans de la terre.
Il s’agit d’un message d’amour, celui d’un papa qui aurait voulu
continuer de fêter, lui aussi, Noël avec sa famille réunie, avec ses trois enfants présents, avec
son plus jeune enfant toujours auprès de lui. Un papa dont le vœu le plus cher, le plus sincère, est
que de tels drames ne se produisent plus jamais.
2 - C’était en janvier 2003, pour ses 21 ans.
Christiane ~ Benjamin ~ Sébastien ~ Sandra ~ Elodie
Rien n’est plus terrible que la perte de son enfant, mais, quand il
nous quitte comme cela, sans que nous ne puissions, une dernière fois, lui dire au revoir, le serrer
dans nos bras, c’est d’une cruauté insoutenable. C’est à hurler.
Ce que tu pourrais leur dire, à ta façon bien à toi, Père Noël, ce
serait : « Ecoutez et pensez à l’histoire de ce père meurtri. Soyez prudent
en cette belle nuit de Noël, soyez toujours prudent. Un accident est bien trop vite arrivé. »
J’ai aussi, Père Noël, une pensée pour tous ces jeunes qui sont restés
allongés sur la route, et qui ne souriront plus jamais à la vie. J’ai également une pensée pour tous
ces Papas et Mamans, ces Frères et Sœurs qui fêteront Noël sans eux cette année.
Exauce mon rêve ! Réalise le miracle de Noël ! Fais que cette nuit soit
pleine d’amour et de joie, fais que l’Homme redécouvre les vraies valeurs des mots
« Amour » et « Compassion ».
Fais que le malheur ne trouve plus désormais que des portes fermées, verrouillées.
Voilà ce dont je voulais te parler, Père Noël, tout ce que j’avais à
t’écrire. Je te remercie pour tous les beaux cadeaux que tu m’as apportés quand j’étais petit garçon
et pour tous mes rêves devenus réalité dans ma vie d’adulte.
………
« Mon souhait le plus cher aujourd’hui, c’est qu’à travers notre
histoire, toutes les personnes qui vont prendre le volant en cette nuit de Noël soient conscientes
de ces faits. Elles doivent être vigilantes et prudentes. Qu’elles songent à notre malheur et
pensent aussi que cette tragédie peut frapper à leur porte, comme elle a frappé à la nôtre ce
matin-là... »
Nul n’est à l’abri.
Joël Bernier,
Papa de Benjamin.