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27 juillet 2003 : Lettre à Benjamin

J'ai reçu ce matin cette lettre destinée à Benjamin. C'est Nathalie ma belle- sœur, la sœur de la maman de Benjamin qui me l'a envoyée. Nathalie a 40 ans, est mariée avec José et à quatre enfants. Benjamin bien qu'il soit plus âgé, adorait jouer avec ses cousins et il était admiratif de la petite dernière "Aurélie-Anne". Je l'ai remarqué à la façon qu'il la regardait, Benjamin aimait les enfants. Nathalie, comme moi, a besoin aussi de témoigner et de dire aux autres la douleur qui brûle en notre corps. Nous sommes tous les deux pudiques, mais ce drame nous fait sortir de notre réserve. Avec son autorisation, je publie son témoignage, il résume l'histoire de notre famille, de sa famille.

Aurélie-Anne Benjamin Ludivine Victorien Cyprien Nat José Benjamin
Aurélie-Anne Benjamin Ludivine Victorien Cyprien Nat José Benja


Cher benjamin,

Je t'écris cette lettre pour exprimer ce manque profond qui grandit en moi depuis ton départ.

Cela faisait un moment que je cherchais les termes exacts pour décrire tout ce que je ressens mais cela fut difficile car, dans notre famille, on est pudique, trop même : on a pour habitude de dire "je t'aime" par des actions, des cadeaux plus que par les mots, et, quelquefois, ce n'est pas assez.

Je me souviens que tu es né au moment où, moi, je m'installais dans ma vie d'adulte et de future femme mariée. Alors, évidemment, comme beaucoup de jeunes couples, dès qu'on en avait l'occasion, nos visites et nos sorties, c'était plus pour les copains que pour la famille. La vie fait que, lorsqu'on est jeune, on ne se rend pas bien compte comme le temps passe vite et que l'on ne peut pas faire marche arrière. Je ne t'ai pas beaucoup vu tout petit bébé.

Ensuite, lorsque, avec José, je vous rendais visite, je prenais beaucoup de plaisir à m'amuser et à discuter avec vous 3, les enfants. Je te revois avec tes petites lunettes sur lesquelles un petit ruban adhésif aidait à rééduquer ta vue. Tu étais rigolo et déjà taquin. Ton regard malicieux en disait long et on avait du mal, déjà, à résister à ton sourire.

Plus tard, à St Véran, lors de nos visites chez tes parents (samedi: barbecue!), tu jouais avec nous au ping-pong où tu me battais si facilement ! Tu aimais le foot et, une fois sur deux, tu partais dormir chez ton ami Numa.

Puis, un déménagement en ville, et voilà une autre vie pour toi.

Je revois ta maman se plaindre de te voir enfermé chez toi avec tes jeux et ton ordinateur, et aussi que tu ne voulais plus faire de foot ou sortir avec des copains.

Les années sont encore passées et ma vie familiale avec 3 enfants s'est organisée autrement. Les visites font place aux coups de téléphone et, malheureusement, on ne s'est retrouvé qu'il y a peu de temps.

L'an dernier, chez tes parents, on a passé des journées merveilleuses tous ensemble. Tu commençais à beaucoup sortir, tu partais à la plage d'où tu revenais tout bronzé et musclé, prêt à faire tomber les filles ! Tu étais bien dans ta peau et heureux de profiter de la vie sans soucis, sans barrières. Tes parents te laissaient faire, ils avaient confiance en toi.

Tu jouais sur ton pc et tes cousins ne demandaient qu'à rester avec toi à te regarder et à apprendre les astuces de tous ces jeux ! Tu avais une énorme patience, je sais que tu les aimais bien. Si tu avais sommeil, tu te couchais dans ton lit et, pourtant, tu les laissais jouer dans ta chambre sans rien dire. A eux aussi, tu sais, tu manques énormément.

Dernièrement, tu avais moins de temps à passer derrière ton écran et ils te réclamaient. Tu avais ta moto, tu sortais plus, mais tu avais quand même le projet d'acheter un jeu et ils attendaient de te voir jouer avec pour, plus tard, avoir tes conseils et tes astuces.

Ils avaient trouvé une complicité avec toi car tu savais être à leur écoute malgré la différence d'âge. Tu leur servais de grand frère, de modèle. Je m'en suis rendue compte seulement dernièrement en parlant avec eux de tous les souvenirs qu'ils ont de toi.

Hélas, ma petite dernière de 15 mois n'aura pas ces souvenirs-là ! Elle ne te connaîtra qu'à travers notre mémoire et des photos de toi.

Je pense tout le temps à toi, j'ai du mal à réaliser que tu ne reviendras plus jamais. Tu sais déjà, avant nous, ce qu'il y a de l'"autre côté". Ce n'était pourtant pas comme ça que cela devait se passer : tu avais à peine entamé ta vie d'homme et tu avais tout l'avenir, avec ses joies et ses peines, devant toi. Tu aurais dû avoir un bon emploi, te marier, faire des enfants, avoir des petits-enfants ; enfin, la vie de tout un chacun. Et voilà, tout est fini, tu n'auras connu que des amours d'ado et de belles amitiés. On se console en pensant que tu n'auras vécu que le beau côté de la vie, mais c'est dur quand même.

Et Sabrina, encore plus jeune, si amoureuse de toi à ce moment-là, beauté arrachée à sa famille et à notre monde, qui se reconstruisait grâce à toi…

J'ai, plusieurs fois dans la journée, un étau qui resserre ma gorge et je retiens mes larmes pour ne pas les montrer à mon mari ou à mes enfants. Toujours cette satanée pudeur !!!

J'étais seulement ta tante mais tu ne peux pas savoir à quel point j'ai mal de te savoir parti comme cela :
  • mal pour ta maman qui se sentait si proche de toi, et qui montre si rarement ses émotions, mais qui souffre tellement;
  • mal pour ton papa qui trouve la force d'aider les autres en témoignant à travers ce site internet qu'il a créé en ta mémoire et en celle de Sabrina;
  • mal pour ta mamie, ma maman, tant éprouvée par la vie déjà;
  • mal pour tes frère et sœur pour qui tu étais le petit dernier qu'il fallait protéger;
  • mal pour tous ceux pour qui tu étais le "chouchou".
Oui, je souffre toujours autant après 2 mois et même encore plus, car le choc est passé et je réalise vraiment que ce petit bonhomme que j'ai connu n'existera plus. Mes larmes coulent, je n'ai plus de honte : "mon petit neveu est mort et je ne peux rien faire".

Revenir en arrière, t'avertir que le 24 mai 2003, à 6h30 du matin, tu ne dois pas prendre ta moto, non, je ne peux pas le faire. Personne ne le peut. Deux jeunes vies vont s'en aller ce jour-là et on ne peut rien y faire !!!

Que faire à part pleurer et attendre que le temps fasse son œuvre et nous apprenne à vivre avec cette douleur et à partager tout l'amour que l'on a en nous avec ceux qui nous sont chers.

Tu nous auras appris en fermant tes yeux à ouvrir les nôtres, à voir ceux qui comptent pour nous, à profiter d'eux, à les aimer encore plus et à leur dire.

Voilà, c'est une longue lettre pour dire, égoïstement ma peine et ma douleur, exprimer ouvertement l'attachement que j'éprouve pour les miens et ma famille.


Merci, et gros bisous Benjamin.

Nathalie.

27 juillet 2003


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